Introduction - Gouvernance

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Introduction

L'Union européenne (UE) est confrontée à une crise complexe. La crise financière qui a commencé aux États-Unis en 2007, et qui s'est aggravée de façon spectaculaire en 2008, a mis en évidence de profondes fractures dans l'architecture du projet le plus ambitieux de l'Union européenne, l'Union économique et monétaire. Comme les gouvernements européens ont cherché à faire face au danger de l'effondrement financier et à l'impact de la récession la plus profonde depuis les années 1930, les déficits publics ont grimpé. La crise de la dette qui a éclaté en 2010 en Grèce s'est rapidement propagée, d'abord à l'Irlande et au Portugal, puis à l'Espagne et à l'Italie. Les politiques d'austérité ont d'abord été imposées aux pays d'Europe orientale et ensuite aux pays de la périphérie de la zone euro, comme conditions à remplir pour obtenir un soutien financier de l'Union européenne et du Fonds monétaire international. Mais les politiques d'austérité sont désormais mises en œuvre dans de plus en plus de pays riches faisant partie du centre de la zone euro. Sous l'impact des politiques profondément conservatrices adoptées par les autorités européennes et nationales en réponse à la crise, le chômage et la misère sociale sont en hausse dans la majeure partie de l'Europe. Le développement de l'Union européenne a, depuis l'origine, été tiré par une puissante dynamique capitaliste. Les premières années, cependant, ont été caractérisées par le plein emploi et il a été possible d'atteindre un niveau important de progrès social pour la grande majorité des citoyens de l'UE. Cela a commencé à changer dans les années 1980. De grandes entreprises capitalistes ont adopté une attitude plus agressive à l'égard de leurs salariés, le capital financier a commencé à jouer un rôle de plus en plus dominant et l'UE et les États membres ont adopté des politiques de plus en plus néolibérales, à travers la dérégulation, les privatisations et la promotion de la concurrence, ce qui représentait un changement significatif en faveur des intérêts du capital privé. L'élargissement de l'UE vers l'Est a ouvert un nouvel espace à l'investissement, à la production et aux exportations des grandes entreprises d'Europe de l'Ouest, tandis que la création de la zone euro a permis un approfondissement plus marqué de la division du travail au sein de l'Europe de l'Ouest, avec une expansion remarquable des exportations pour l'Allemagne et d'autres États du Nord. Maintenant, avec la crise, un vaste processus de restructuration est en cours. Les entreprises les plus grandes et les plus performantes renforcent leur position; l'agenda social est en cours de réorganisation avec des réductions particulièrement importantes des salaires et des prestations sociales dans les pays les plus touchés par la crise. La position des pays du centre de l'UE a été renforcée et celle de la périphérie affaiblie. La crise a mis en évidence la construction profondément antidémocratique de l'Union européenne. La Commission européenne prend de plus en plus de poids dans la surveillance des budgets nationaux, imposant sa doxa dans le Pacte de stabilité et de croissance, en passe d'être encore renforcé avec l'adoption du Pacte dit budgétaire. Alors que les parlements nationaux perdent le rôle qui a pu être le leur dans la politique budgétaire, le Parlement européen – en dépit d'un accroissement limité de ses compétences – reste malheureusement incapable d'exercer un véritable contrôle démocratique sur la politique économique au niveau européen. La proposition d'une Union bancaire pourrait constituer une étape importante pour parvenir à une supervision européenne efficace des banques, mais la manière dont elle est conçue renforcera encore davantage le rôle de la Banque centrale européenne, une institution qui à l'heure actuelle n’est absolument pas soumise au contrôle démocratique. C'est une Europe des élites, où des groupes de pression puissants sont en mesure d'exercer une grande influence derrière les portes closes de l'administration bruxelloise, bien cachés aux regards des citoyens européens. Les relations entre les États membres ont également été considérablement affectées. Le gouvernement allemand, avec ses proches alliés, en particulier les gouvernements des Pays- Bas et de Finlande, occupe une position de plus en plus forte, parfois au sein des structures officielles, mais aussi à travers ce qu'on appelle des «coalitions de volontaires» (coalitions of the willing). Les espoirs de voir l'élection d'un président socialiste en France mettre en cause l'accent mis par l'UE sur les politiques d'austérité ont été déçus. Pour de nombreux chefs de gouvernement européens, le chemin vers une décision à Bruxelles semble désormais passer par Berlin. L'idée que l'économie allemande pourrait en quelque sorte être un modèle pour l'Union européenne est tout à fait erronée. Le développement économique de l'Allemagne depuis l'introduction de l'euro est fondé sur une stratégie agressive tirée par les exportations, où la stagnation des salaires et une faible demande intérieure ont été compensées par un excédent commercial en hausse. Alors que les profits ont augmenté, un secteur à bas salaire s'est créé, qui regroupe maintenant quelque 20% de la population active. Dans le même temps, comme le commerce international de l'UE est à peu près en équilibre, d'autres pays européens ont connu une augmentation de leur déficit commercial. Les entrées de capitaux dans les pays périphériques de l'UE étaient censées promouvoir un processus de convergence économique, mais dans de nombreux pays elles ont alimenté la consommation et la croissance de bulles insoutenables des prix des actifs. Depuis le début de la crise, les flux de capitaux ont été brutalement inversés et la divergence entre les États membres s'est accentuée. Seul un vaste programme d'investissement dans des projets soutenables, créant des emplois qualifiés et bien rémunérés, peut inverser ce processus. Au niveau mondial, l'Union européenne a suivi une ligne fortement néo-mercantiliste, plaidant pour une extension du libre-échange pour les produits manufacturés dans les négociations, au demeurant enlisées, de l'Organisation mondiale du commerce. Pendant ce temps, les pays en développement qui souhaitent garder un accès aux marchés européens ont été appelés à signer des accords dits de partenariat économique qui les contraignent à ouvrir leurs économies aux multinationales européennes à un degré qui va bien au-delà de ce qui est requis par l'OMC. Le défi du changement climatique mondial est peut-être ce qui caractérise le plus profondément la crise complexe que connaît l'Europe. La conférence internationale des Nations Unies Rio+20 sur le développement durable en juillet 2012 n'a pas réussi à parvenir à un accord significatif. Pendant ce temps, les photographies aériennes montrent le retrait des calottes glaciaires polaires et des tempêtes d'une intensité sans précédent frappent le monde, du Pakistan à New York. L'Europe, l'une des régions les plus riches du monde, doit accorder la plus haute priorité à la promotion d'une transformation économique permettant une réduction drastique de la consommation d'énergie et d'autres ressources non renouvelables, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre. Au cours de la dernière année, il y a eu des mobilisations impressionnantes à l'appel des syndicats et des mouvements sociaux, surtout dans les pays de la périphérie de la zone euro, touchés de plein fouet par les programmes d'austérité, avec la première grève générale coordonnée au niveau européen le 14 novembre 2012. Il y a également eu plusieurs initiatives importantes visant à promouvoir une plus grande coordination entre les mouvements au niveau européen. Cet EuroMemorandum se veut une contribution au développement de ces initiatives et à la promotion d'une Europe différente, basée sur les principes de la participation démocratique, de la justice sociale et de la soutenabilité environnementale. Contrairement aux années précédentes, les chapitres de cet EuroMemorandum sont organisés par thèmes. Dans chacun d'entre eux, nous tenterons de rappeler les principaux développements de l'année écoulée, d'identifier quelques-uns des principaux problèmes posés par les politiques adoptées par les autorités européennes et nationales, et d'esquisser les bases d'une approche alternative.

1 La politique économique et financière

1.1 Principaux développements économiques en 2012

L'expansion économique dans l'Union européenne (UE) a été stoppée en 2012, avec une production toujours en dessous du niveau de 2008 (voir tableau 1). Dans la plupart des États membres, le taux de chômage officiel a continué d'augmenter en 2012, alors que les salaires réels ont stagné ou diminué. Comme les années précédentes, cependant, il existe d'importantes variations régionales. Dans les pays de la périphérie de la zone euro, l'impact des rigoureuses politiques d'austérité a conduit à la récession en Italie et en Espagne, et à une récession particulièrement forte au Portugal et surtout en Grèce, où la production a chuté de 17% depuis 2007. De graves difficultés sont apparues partout : le chômage est très élevé dans tous ces pays; les taux officiels sont de 25% en Espagne et en Grèce; les salaires réels continuent de baisser et, par rapport à la période avant la crise, sont en baisse de 9% au Portugal et de 19% en Grèce. Les services publics se détériorent fortement sous l'effet des sévères réductions de dépenses. En Europe de l'Est, la plupart des pays ont enregistré une certaine croissance en 2012, bien que, dans tous les pays sauf la Pologne et la Slovaquie, la production reste encore en dessous des niveaux d'avant la crise. Dans les pays baltes, qui ont subi les plus sévères reculs en 2008-09, la production est toujours inférieure d'environ 6% à son niveau d'avant la crise en Estonie et en Lituanie, et de 13% en Lettonie. Bien que le chômage ait légèrement diminué dans les pays baltes – en partie à cause d'une forte émigration – il reste élevé et les salaires réels ont diminué depuis le début de la crise de 9% en Lettonie et de 16% en Lituanie. En Pologne, en revanche, la production a augmenté de 13% depuis le début de la crise, même si le chômage a légèrement augmenté et si les salaires réels ont baissé de 1% depuis leur niveau maximum. Dans le cœur de la zone euro, la plupart des pays ont également enregistré une certaine croissance en 2012, mais elle a été freinée par les politiques d'austérité qui ont déprimé la demande sur d'autres marchés de la zone euro. Les principaux pays ont également été touchés par un ralentissement de la croissance internationale, notamment aux États-Unis et en Chine. En Allemagne, où les exportations avaient contribué à alimenter une forte expansion en 2010-11, la croissance devait être inférieure à 1% en 2012. Bien que le taux de chômage allemand soit tombé en 2012 à 5,4% et que les salaires réels aient augmenté d'environ 1%, il sera désormais difficile de maintenir cette situation, sauf changement majeur dans la dépendance de la croissance à l'égard des exportations. La situation économique en Europe a été exacerbée par les politiques menées par l'UE et les gouvernements nationaux en réponse à la crise de la dette dans la zone euro, qui a éclaté en Grèce en 2010 et s'est ensuite propagée à l'Irlande et au Portugal. Ces politiques ont mis l'accent sur l'austérité et n'ont pas répondu de manière adéquate à la situation financière hautement précaire.


1: Indicateurs de croissance de la production, du chômage et des salaires dans l'UE Croissance du PIB 2011-12, %* Pic de la croissance du PIB en 2012, %* Taux de chômage en septembre 2012, %* Croissance des salaires réels 2011-12, %** Pic de la croissance des salaires réels 2012, %** Zone euro (17) -0.4 -1.5 11.6 -0.1 -0.4 UE (27) -0.3 -1.1 10.6 -0.1 -0.8 Autriche 0.8 1.6 4.4 0.5 -1.4 Belgique -0.2 1.1 7.4 0.5 -0.2 Finlande 0.1 -2.8 7.9 0.2 -0.1 France 0.2 0.2 10.8 0.2 2.4 Allemagne 0.8 2.7 5.4 1.0 1.9 Luxembourg 0.4 -0.0 5.2 -0.4 -1.0 Noyau de la zone euro Pays-Bas -0.3 -1.4 5.4 -0.3 -0.8 Grèce -6.0 -19.8 25.4 -7.8 --19.3 Irlande 0.4 -6.4 15.1 -1.2 -3.4 Italie -2.3 -6.7 10.8 -1.4 -2.9 Portugal -3.0 -6.1 15.7 -5.1 -9.2 Périphérie de la zone euro Espagne -1.4 -5.0 25.8 -1.8 -5.8 Chypre -2.3 -2.4 12.2 -3.7 -3.7 Estonie 2.5 -5.5 10.0 0.9 -6.7 Malte 1.0 3.9 6.4 -1.3 -4.8 Slovaquie 2.6 5.1 13.9 -2.1 -4.8 Nouvelle zone euro Slovénie -2.3 -8.3 8.4 -2.2 -2.3 Danemark 0.6 -3.3 8.3 -0.5 -1.3 Suède 1.1 5.7 7.8 1.9 1.5 Pays du Nord, hors zone euro Royaume-Uni -0.3 -2.6 7.8 -0.2 -3.2 Bulgarie 0.8 -2.8 12.4 2.1 5.6 Croatie -1.9 -10.0 15.2 -1.9 -1.3 République tchèque -1.3 -1.5 6.8 -0.5 1.7 Hongrie -1.2 -5.1 10.6 -1.2 -11.6 Lettonie 4.3 -13.2 15.9 0.5 -9.3 Lituanie 2.9 -5.8 12.9 0.1 -15.7 Pologne 2.4 12.8 10.1 0.3 -1.1 Europe de l'Est, hors zone euro Roumanie 0.8 -5.1 7.1 0.9 -6.6 Source : *Eurostat (novembre 2012), Le pic du PIB est la valeur la plus élevée pour 2007 ou 2008.

    • Ameco (novembre 2012), Le pic du salaire réel est la valeur la plus élevée pour la période 2007-2010.

Les pronostics selon lesquels les gouvernements auraient à sauver d'autres banques, notamment en Espagne et en Italie, ont conduit à intensifier la vente d'obligations d'État dans la seconde moitié de 2011. En même temps, la baisse du cours des obligations a augmenté les pertes subies par les banques, car celles-ci détenaient de très nombreuses obligations d'État. Comme l'interaction entre la crise de la dette et la crise bancaire s'est accentuée, la Banque centrale européenne (BCE) s'est alarmée de la situation précaire du secteur bancaire et, en décembre 2011, elle a lancé une opération de refinancement de long terme (Long Term Refinancing Operation-LTRO), prêtant aux banques un montant total de 493 milliards d'euros, suivi en février 2012 d'un autre prêt de 529 milliards. Ces prêts portaient sur une période de 3 ans à un taux d'intérêt de 1%, et – différence = importante avec les prêts consentis par l'UE aux pays en difficulté – ils étaient sans conditions. Cette injection considérable de liquidités a temporairement levé la pression sur les banques. Quelque 150 milliards d'euros ont été utilisés par les banques pour acheter des obligations d'État, soutenant ainsi leurs cours et offrant des profits substantiels pour les banques en raison de la grande différence des taux d'intérêt. Mais la majeure partie des fonds ont été redéposés à la BCE, et le total des prêts bancaires aux entreprises et aux ménages de la zone euro a légèrement baissé au cours des neuf premiers mois de 2012. Quand la situation économique s'est dégradée au premier semestre de 2012, les gouvernements de la zone euro ont mis l'accent sur l'inclusion dans la législation nationale de ce qui est appelé le Pacte budgétaire. Il avait été adopté, souvent avec des réticences, par 25 pays à la fin de 2011, principalement sous l'insistance allemande. Ce pacte exige des États qu'ils adoptent une règle constitutionnelle limitant le déficit public structurel à 0,5% du PIB à l'avenir. La mesure méconnaît le fait que, dans la plupart des pays, les déficits budgétaires ne sont pas la cause du malaise actuel, mais plutôt le résultat de la crise financière qui a commencé aux États-Unis en 2007-08. Le Pacte va sérieusement limiter la capacité des gouvernements à mener une politique budgétaire active à l'avenir. Il a aussi été largement critiqué pour l'ambiguïté de la notion de déficit structurel et l'imprécision de la date de mise en œuvre. L'accent mis sur l'assainissement budgétaire a également montré que les autorités de l'UE n'ont pas de politique efficace pour contrer les tendances à la récession en Europe et, comme il est devenu clair que les pays tels que l'Espagne continueront à être confrontés à des difficultés pour rembourser leur dette, la spéculation contre leurs obligations d'État s'est intensifiée. À la fin juillet 2012, le président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé que la BCE ferait «tout ce qu'il faudra» pour préserver l'euro, ce qui a entraîné une hausse immédiate du cours des obligations d'État espagnoles et italiennes. En septembre, la BCE a approuvé les détails d'un programme connu sous le nom de Transactions monétaires au comptant (Outright Monetary Transactions-OMT), lui permettant des interventions illimitées sur le marché des obligations d'État pour stabiliser le cours des obligations menacées - imitant ce que les banques centrales des États-Unis et de la Grande-Bretagne ont fait depuis le début de la crise. (Les précédentes interventions de la BCE sur le marché des obligations l'avaient été à petite échelle et limitées dans le temps.) Toutefois, il a également été annoncé que les gouvernements devaient d'abord parvenir à un accord sur les termes d'un prêt du fonds de sauvetage de la zone euro, une condition susceptible d'entraîner une intensification des politiques d'austérité, pourtant à l'origine de la récession dans de nombreux pays. Mais même cela était trop pour le chef de la Bundesbank allemande, qui a publiquement critiqué la proposition; de manière significative, cependant, la chancelière allemande, Angela Merkel, a exprimé son soutien à la proposition de Draghi. Le premier fonds de sauvetage de la zone euro, le Fonds européen de stabilité financière, doté de 440 milliards d'euros et mis en place en 2011, devait être remplacé par le Mécanisme européen de stabilité (MES), permanent, en juillet 2012. Le lancement a été reporté en septembre 2012, à la suite d'une tentative infructueuse d'un groupe de parlementaires dissidents de le bloquer devant la Cour constitutionnelle allemande. Le MES sera en mesure d'accorder des prêts totalisant 500 milliards d'euros, financés principalement par l'émission d'obligations. Cependant, ce montant n'est que le sixième de la dette courante de l'Italie et de l'Espagne Ce qui, en donnant un signal clair sur les limites de l'intervention de l'UE, pourrait en fait encourager la spéculation à l'avenir. Les chefs de gouvernement se sont rencontrés à la fin juin 2012 pour leur XIXe sommet depuis le début de la crise, et semblaient d'accord pour prendre plusieurs mesures importantes. Tout d'abord, il y a eu accord pour créer une Union bancaire européenne. Il s'agit d'une innovation institutionnelle majeure dans l'architecture de l'Union européenne. Elle impliquera la création d'un mécanisme européen unique de contrôle pour les banques dans la zone euro. Deuxièmement, afin de briser le cercle vicieux qui lie les pertes des banques et les obligations d'État, il a été convenu que le MES serait en mesure de recapitaliser directement les banques des pays, évitant ainsi d'alourdir encore les dettes des gouvernements nationaux. Cela devrait soulager la pression sur l'Espagne. Un traitement similaire a été adopté pour l'Irlande. Cette assistance a été, toutefois, subordonnée à la création préalable d'un mécanisme européen unique de supervision des banques. La troisième mesure décidée lors du sommet de juin était l'octroi de 120 milliards d'euros pour les investissements dans les infrastructures. Il s'agit d'un pas positif, mais qui représente à peine 1% du PIB de la zone euro et sera étalé sur plusieurs années. Il est aussi en partie illusoire car il s'appuie sur des fonds structurels déjà existants et qui n'ont pas été dépensés parce que les gouvernements nationaux, en raison de l'austérité, n'ont pas été capables de fournir le financement complémentaire requis. Ces règles devront être assouplies si on veut que les pays les plus en difficulté en profitent. Des propositions visant à faire de la BCE le superviseur unique pour toutes les banques de la zone euro ont été officiellement annoncées par le président de la Commission, José Manuel Barroso, dans son rapport annuel sur «l'état de l'Union» en septembre 2012. Cependant, après une réunion à la fin septembre, les ministres des Finances allemand, néerlandais et finlandais ont déclaré que les fonds du MES ne devaient pas être utilisés pour les dettes bancaires préexistantes, comme on l'a laissé espérer à l'Espagne et l'Irlande. Des questions ont également été soulevées sur le projet d'Union bancaire, y compris sur le fait de savoir s'il sera possible d'établir une autorité de contrôle bancaire commune en janvier 2013 (une condition préalable à l'utilisation des fonds du MES pour recapitaliser les banques). La France a insisté pour aller de l'avant rapidement sur la création d'un mécanisme unique de supervision des banques, mais l'Allemagne a fait valoir le caractère complexe de la tâche. Lors du sommet d'octobre 2012, les chefs de gouvernement ont déclaré que les propositions pour une supervision unique étaient une question d'urgence, mais que le délai de janvier 2013 n'était pas contraignant. Une autre source de tension a surgi quand les pays d'Europe de l'Est qui sont obligés d'adhérer à l'euro à l'avenir se sont élevés contre la restriction de leurs droits dans les propositions de la Commission relatives à l'Union bancaire. La volonté de la BCE d'intervenir temporairement sur le marché des obligations a stabilisé les pressions spéculatives contre les obligations de la périphérie de la zone euro au second semestre de 2012. Par ailleurs, le gouvernement allemand a maintenant reconnu qu'une sortie de la Grèce de la zone euro serait très déstabilisante. Cependant, les systèmes bancaires des pays périphériques de la zone euro connaissent une hémorragie car le capital se retire à l'étranger, notamment en Allemagne. En octobre 2012, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a présenté des propositions pour avancer vers l'Union économique, y compris par la création d'un ministère des Finances européen. Mais les règles budgétaires strictes qui s'appliquent aux gouvernements nationaux s'appliqueront là aussi, et le système est principalement envisagé comme un instrument pour établir un contrôle centralisé encore plus étroit sur les politiques budgétaires nationales. En octobre 2012, le Fonds monétaire international, pourtant notoirement conservateur, se demandait si l'accent mis par l'UE sur l'austérité budgétaire était bien adéquat. Alors que l'économie européenne stagne et qu'un nombre croissant de citoyens connaît le chômage, la pauvreté et les coupes dans les services publics essentiels, la proposition principale de l'Union européenne pour la relance économique repose pour l'essentiel sur la discipline budgétaire.

1.2 La réponse erronée de l'UE

La politique budgétaire dans l'UE semble devoir poursuivre et même renforcer l'austérité implicitement contenue dans le cadre institutionnel actuel du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) révisé, du Pacte budgétaire et des conditionnalités des prêts FESF/MES. Si elle se poursuit, cette stratégie conduira à des années de stagnation dans la zone euro dans son ensemble et à une dépression prolongée avec de graves conséquences économiques, sociales et politiques pour les économies les plus en difficulté dans la périphérie. Après les nombreuses et hâtives modifications, il est difficile de dire laquelle de ces contraintes, sur les déficits publics ou la dette, sera la plus forte pour les États membres au cours des prochaines années. Il est vraisemblable que les règles les plus contraignantes pour la plupart des pays seront les procédures actuelles sur les déficits excessifs (PDE) et les programmes d'ajustement sous l'égide du FESF/MES. Ils seront à moyen terme suivis par la limitation à 0,5% du PIB du déficit budgétaire corrigé des variations conjoncturelles, introduite par le Pacte budgétaire. Pour les pays avec des niveaux très élevés de dette publique (à savoir l'Irlande, la Grèce, l'Italie et le Portugal), il faudra d'autres et importantes contractions budgétaires pour respecter la procédure pour déficit excessif, qui stipule que pour les dettes excédant 60% du PIB, cet excédent doit être réduit d'un vingtième (1/20) chaque année,. Une estimation grossière de l'effet négatif cumulé qui sera la conséquence d'une telle orientation budgétaire entre 2013 à 2016 est de 3,5% du PIB pour la zone euro dans son ensemble, de 5% à 8% pour l'Italie, le Portugal, la Slovénie, l'Espagne et Chypre, et de plus de 10% du PIB pour l'Irlande et la Grèce. Dans les circonstances actuelles (avec des efforts de consolidation simultanés, portant principalement sur les dépenses, partout dans le monde; une politique monétaire minimale) l'effet multiplicateur sur le budget sera important. Même un multiplicateur budgétaire modeste, de l'ordre de un, suffit à montrer le potentiel destructeur inhérent au régime actuel d'austérité. Dans ce cas, l'orientation budgétaire négative se traduirait par des pertes de PIB de la même importance, avec des millions d'emplois détruits. Rien ne prouve que cette consolidation va engendrer un regain de confiance, comme le prétendent certains économistes du courant dominant. En fait, un regard sur la performance économique des pays de la zone euro ces dernières années montre que les pays ayant l'orientation budgétaire la plus négative sont aussi les pays qui sont actuellement en récession. Il est également clair que l'austérité n'a conduit à aucune amélioration des primes de risque sur les obligations d'État. Les effets négatifs sur la production et l'emploi causés par l'austérité se traduiront par des déficits publics (et des niveaux d'endettement) plus élevés qui - sous le régime institutionnel et politique actuel – vont à leur tour augmenter les nécessaires réductions budgétaires pour atteindre des valeurs cibles très faibles. L'apparition d'un cercle vicieux, les efforts de consolidation entraînant une hausse des déficits et de l'endettement et, par conséquent, encore plus d'efforts de consolidation, est une menace qui peut déjà être observée dans plusieurs pays. Afin d'éviter le développement d'un tel cercle vicieux, les trois contraintes institutionnelles de la politique budgétaire doivent être réformées en même temps. Si le Conseil décide d'accorder davantage de souplesse en changeant la date limite fixée par la Procédure pour déficit excessif, l'ajustement nécessaire dans le cadre du Pacte budgétaire sera plus important. Et si le chemin de la transition vers l'équilibre structurel est prolongé, l'ajustement requis en vertu du critère de déficit excessif augmentera. Ce qui est présenté comme une procédure à trois couches pour assurer la viabilité budgétaire sera, en réalité, très probablement, une procédure en trois étapes pour étrangler la croissance de l'économie de la zone euro.

L'Union bancaire
Les gouvernements de la zone euro et l'UE commencent à comprendre que les réformes antérieures du système financier ont été insuffisantes pour faire face à l'ampleur des problèmes. De nouvelles mesures ont été envisagées en 2012. Des tentatives ont été faites pour limiter les effets négatifs du Mécanisme européen de stabilité (MES), la BCE a décidé d'élargir son rôle de prêteur en dernier ressort, et il a été décidé de créer une Union bancaire pour contrôler la crise de l'euro6. En dépit de ces décisions, la logique du «trop peu, trop tard» continue et le bricolage va se poursuivre. Il existe un consensus de plus en plus large pour considérer que la création de l'euro a souffert depuis le début de l'absence d'homogénéité de son cadre réglementaire. La proposition d'Union Bancaire Européenne est basée sur les éléments suivants: •Une règlementation qui fait de la BCE la structure de supervision commune pour les 6 000 banques de la zone euro; •Des règles communes pour les besoins de capitalisation et d'autres réformes pour mettre en œuvre les accords de Bâle III au niveau de l'UE; •Un régime de dépôt de garantie commun; •Un mécanisme commun de résolution ou de recouvrement pour les banques défaillantes. Selon le projet, la BCE aura le droit d'homologuer une banque ou de lui retirer l'homologation, de provoquer le départ de la direction d'une banque, d'exiger tout renseignement, d'entreprendre des inspections sur place et d'imposer des sanctions pécuniaires. Afin de donner un vernis de responsabilité démocratique, la BCE devra répondre aux questions du Parlement européen et lui rendre régulièrement rapport. Toutefois, la direction de la nouvelle institution sera nommée par le Conseil. À première vue, le projet peut paraître raisonnable. Mais quand on l'examine dans le détail, il est clair que l'Union bancaire crée de nouveaux problèmes qui ne sont pas réglés. Il est douteux que le régime proposé soit vraiment en mesure de mettre la crise sous contrôle. Tout d'abord, il y a le problème de l'articulation de la nouvelle institution sous l'égide de la BCE et de l'Autorité bancaire européenne (ABE) existante, qui a été créée en 2011. L'ABE est responsable pour les 27 pays de l'UE alors que la nouvelle structure de supervision de la BCE ne sera responsable que pour la zone euro. Cela accentuera la fragmentation dans l'UE. Il y a, en outre, la question des conflits d'intérêts internes. Qu'est-ce qui se passera, par exemple, si la BCE en sa qualité de superviseur doit fermer une banque qui est endettée auprès de la BCE, qui aurait alors à subir des pertes? Et bien sûr, comme dans tous les projets européens, il y a la tension entre le niveau national et le niveau supranational. Il est impossible de superviser 6 000 banques avec une seule institution. Par conséquent, le nouvel organe dépendra en grande partie des administrations publiques nationales et perdra ainsi beaucoup d'efficacité. La question d'un régime de dépôt de garantie commun est une question encore trop sensible politiquement pour de nombreux pays et les intérêts nationaux seront encore plus forts, car la question touche à l'argent et à sa distribution. Il y a, par exemple, le cas des caisses d'épargne, qui ne se sont pas engagées dans la spéculation généralisée avant le début de la crise, et qui ne veulent pas être tenues de garantir les pertes subies par les banques d'investissement et leurs spéculations. Dans le même temps, le gouvernement finlandais ne veut pas participer à des garanties pour les banques grecques alors que le gouvernement allemand ne veut pas soutenir les banques italiennes. Cependant, une supervision commune, le système de garantie des dépôts et le mécanisme de résolution sont comme un trépied. S'il manque un pied, toute la structure s'écroule.


1.3 Promouvoir le plein emploi et la stabilité financière

Les concepteurs de la politique économique dans l'UE ont été obsédés par le déficit budgétaire au cours des dernières années, mais les deux déficits qui doivent être comblés de toute urgence sont le déficit d'emplois et le déficit démocratique. Les politiques macroéconomiques doivent à la fois être mises à contribution pour réduire le déficit d’emplois et changées de manière à participer à la réduction du déficit démocratique de l'Union européenne. La politique budgétaire devrait être recentrée sur la réduction du déficit d'emplois. L'augmentation de la dépense publique devrait être utilisée pour promouvoir des projets d'investissement socialement et écologiquement souhaitables et contribuant à créer le plein emploi avec un bon travail. Il faut mettre fin aux attaques contre les dépenses de protection sociale et réorienter les politiques fiscales vers un système plus progressif, ce contribuerait à réduire les déficits budgétaires. Les revenus élevés (disons : de plus de 250 000 euros par an) devraient être imposés à un taux marginal élevé (peut-être 75%). Pour les pays de la zone euro, les gouvernements nationaux devraient être libérés des contraintes du Pacte budgétaire. Une relance coordonnée devrait être mise à l'ordre du jour, plutôt que l'austérité généralisée. Il est important que la Banque centrale européenne et, pour les pays hors de la zone euro, les banques centrales nationales, accordent leur plein appui à des politiques budgétaires favorisant la prospérité et cessent leurs appels continuels à l'assainissement budgétaire. Une monnaie unique nécessite une politique budgétaire au niveau fédéral avec des compétences pour lever l'impôt, des niveaux importants de dépenses publiques et la capacité de faire des déficits et des excédents. Une politique budgétaire fédérale, si elle est correctement appliquée et non soumise à des obligations d'équilibre budgétaire, contribuerait à amortir les effets des ralentissements de la conjoncture à la fois au niveau fédéral et au niveau national et régional. Elle garantirait également des transferts budgétaires effectifs entre les régions riches et les régions pauvres. L'impôt fédéral remplacerait certains éléments de la fiscalité nationale. Il doit être progressif, ce qui augmenterait ses propriétés stabilisatrices. La hauteur précise du budget fédéral qui serait nécessaire à des fins de stabilisation est difficile à estimer avec certitude, mais elle est probablement de l'ordre de 10% du PIB de l'UE plutôt que le 1% actuel. La construction d'une politique budgétaire fédérale est un projet à long terme, mais elle est essentielle pour le bon fonctionnement d'une monnaie unique. Les déséquilibres des comptes courants dans la zone euro ont varié en 2011 entre un excédent de 9,2% du PIB aux Pays-Bas et de 5,7% en Allemagne jusqu'à un déficit de 6,4% au Portugal et de 9,8% en Grèce. La correction des déséquilibres des comptes courants dans un système de taux de change fixes (ce que la monnaie unique est par excellence) est difficile et peut contraindre les pays déficitaires à l'ajustement par la déflation. Un déficit du compte courant ne peut se poursuivre que par des emprunts à l'extérieur du pays, et un excédent du compte courant exister que si d'autres pays sont prêts à emprunter. Les graves déséquilibres des comptes courants dans la zone euro doivent être éliminés et cela doit être fait sans avoir recours à toujours plus d'austérité. Les autorités de la zone euro doivent reconnaître que les pays excédentaires ont autant de responsabilités que les pays déficitaires pour résorber les déséquilibres, et que les pays excédentaires peuvent contribuer à la solution en adoptant des politiques de relance interne. Cela aidera à accroître la demande d'exportation pour les pays en déficit et des augmentations de salaire plus rapides dans les pays excédentaires réduiront leur compétitivité à l'exportation. L'Allemagne en particulier devrait augmenter les salaires tout au long de ses chaînes d'approvisionnement internationales en Europe de l'Est, s'attaquer au problème croissant d'un secteur à bas salaires, et envisager une réduction permanente du temps de travail. L'Allemagne devrait également revenir sur son récent transfert des cotisations sociales vers la TVA, qui a agi comme une dévaluation et aggravé les problèmes des pays ayant des déficits des comptes courants. La politique de l'emploi dans l'UE devrait se concentrer sur la promotion d'emplois sûrs, basés sur des compétences élevées. Il faut inverser la tendance à la croissance des formes précaires d'emploi, en particulier pour les jeunes, et plus généralement à la baisse de la part des salaires dans le revenu national au cours de la dernière décennie. Une stratégie pour rendre l'Europe plus compétitive sur la base de la baisse des salaires est socialement indésirable. De plus, elle ne réussira pas car il existera toujours d'autres pays qui pourront rivaliser avec des salaires encore plus bas. Afin de promouvoir le plein emploi, et aussi dans le cadre d'une progressive transformation à long terme vers une société où la vie n'est pas dominée par le travail salarié, la semaine normale de travail devrait être réduite à 30 heures. Au lieu des politiques de privatisation et de dérégulation préconisées par le Pacte budgétaire, les politiques régionales et industrielles doivent être renforcées pour faire en sorte que les pays déficitaires puissent restructurer leurs économies sur une base durable. À cette fin, la Banque européenne d'investissement (BEI) devrait jouer un rôle immédiat en facilitant un important programme d'investissements publics et privés, en particulier dans les pays périphériques de l'Europe du Sud et de l'Est qui ont été les plus durement touchés par la crise, et où le chômage est le plus élevé. La BEI est déjà habilitée à émettre des euro-obligations. En finançant des investissements à long terme, elle peut jouer un rôle clé pour surmonter les divergences croissantes au sein de l'UE.

Un cadre mondial pour la stabilité financière
L'expansion extrême des institutions financières, des marchés financiers et des instruments financiers en Europe depuis les années 1990 doit être inversée de façon radicale. Les banques commerciales et les banques d'investissement devraient être complètement séparées. Les banques commerciales devraient assurer le financement des dépenses importantes des ménages et des projets d'investissement socialement et environnementalement souhaitables par les entreprises. Les formes publiques et coopératives de banques commerciales devraient être encouragées et il devrait y avoir des limites strictes à la taille des banques privées afin qu'elles puissent faire faillite sans menacer la stabilité financière. Les banques d'investissement, ainsi que les hedges funds, les fonds de capital-investissement et toutes les autres institutions dites du «secteur bancaire parallèle» devraient être étroitement encadrés. Ils ne devraient pas être autorisés à faire des opérations avec de l'argent emprunté, et toutes leurs activités devraient être soumises au contrôle public. La propagation des innovations financières complexes a accentué l'opacité du système financier et a été alimentée par la tentative de contourner la réglementation. Alors que les banques utilisent la titrisation multidimensionnelle pour déplacer les risques hors de leurs bilans et éviter de se conformer aux exigences minimales de fonds propres, il y a eu baisse des crédits pour les investissements productifs. Tous les nouveaux instruments financiers devraient donc être soumis à des tests, et les institutions financières devraient avoir à prouver qu'un nouvel instrument financier est bénéfique pour les secteurs non financiers de l'économie avant qu'il ne soit agréé. La plupart des produits dérivés, tout en paraissant garantir contre des risques spécifiques, ont effectivement conduit à une augmentation du risque systémique. Les produits dérivés qui sont approuvés devraient donc être normalisés et étroitement contrôlés. Tous les titres devront être échangés sur des plateformes publiques autorisées et une agence européenne publique de notation devrait être établie. Afin de réduire la spéculation à court terme, une taxe sur les transactions financières devrait être prélevée sur toutes les transactions. La Banque centrale européenne est indépendante des autorités politiques, mais elle n'a manifestement pas été idéologiquement indépendante ou autonome par rapport aux intérêts du secteur financier. La BCE devrait être reconstruite afin d'assurer sa pleine responsabilité démocratique. Cela implique des exigences pour le président de la BCE et d'autres, qui doivent passer régulièrement devant le Parlement européen pour un examen détaillé, et pour les organes de décision de la BCE qui doivent être désignés à partir d'un large éventail de parties prenantes et non seulement, comme à présent, à partir de banquiers centraux. La BCE doit également être intégrée dans les processus de décision de l'Union économique et monétaire et permettre la coordination des politiques. Un nouveau cadre pour la stabilité financière est nécessaire. Il doit être fondé sur un paradigme alternatif de réglementation financière, ce qui implique de profonds changements institutionnels. Il faut admettre que, en raison de l'instabilité fondamentale du capitalisme et de la pro-cyclicité de la finance, la discipline de marché ne fonctionne pas. Un cadre de stabilité financière dans la zone euro devrait être fondé sur quatre principes: •Le cadre doit être global. Il doit utiliser les instruments, de telle sorte que les politiques prudentielles, monétaires et budgétaires soient combinées. Il faut dépasser la séparation entre stabilité monétaire et stabilité financière. Au lieu de mettre l'accent sur la stabilité des prix, il faut agir pour le plein emploi et la prospérité générale dans la zone euro. La préoccupation centrale de la BCE devrait être déplacée de la stabilité des prix vers la stabilité financière. Cela devrait se faire dans un cadre de coordination des politiques où il est reconnu que les politiques budgétaires et autres ont un impact sur la stabilité financière. •Les politiques doivent être contra-cycliques. Elles doivent viser à réduire le caractère pro-cyclique des marchés financiers et, à l'aide de stabilisateurs budgétaires, atténuer les cycles économiques. Les politiques macroéconomiques et prudentielles devraient viser à combattre l'émergence de déséquilibres financiers durant la phase ascendante du cycle. Il ne suffit pas en effet d'attendre et d'assainir ensuite durant la phase de récession du cycle. •Le cadre doit être à l'échelle du système. Il doit prendre en compte les interactions qui se renforcent mutuellement entre le système financier et le reste de l'économie. Il doit inclure à la fois la supervision des institutions financières prises individuellement et la supervision macro-prudentielle du système financier. •Le cadre doit être à l'échelle européenne. Les politiques monétaires, prudentielles et budgétaires devraient être conçues au niveau européen, en tenant compte à la fois de l'hétérogénéité et des interactions entre les pays de la zone euro et l'UE dans son ensemble.

2 La gouvernance dans l'Union européenne

2.1 Une Union de la surveillance

En réponse à la crise de la dette souveraine, il y a eu des changements importants dans le fonctionnement des institutions de l'UE et dans les relations entre l'UE et les États membres. Ils ont pris la forme de pouvoirs accrus pour la Commission, avec en arrière-fond le pouvoir des États dominants au sein du Conseil, dans la surveillance et le contrôle des États membres, et de sanctions renforcées contre ceux jugés violer des règles. Tout d'abord, le Six-pack de la nouvelle législation renforce les contraintes du Pacte de stabilité: •Les sanctions (dépôts obligatoires d'abord et ensuite amendes) couvrent désormais non seulement la violation de la limite de déficit de 3% du PIB, mais aussi les niveaux d'endettement excessifs, c'est-à-dire quand la dette publique dépasse 60% du PIB; la différence doit alors être réduite d'un vingtième chaque année; •Les poursuites judiciaires contre les États membres défaillants deviennent plus automatiques - alors qu'auparavant la majorité qualifiée au sein du Conseil était nécessaire pour entamer des poursuites contre un État membre, cette majorité va maintenant être nécessaire en règle générale pour y mettre fin; •La Commission a obtenu le droit d'examiner les structures administratives et les pratiques relevant de la politique budgétaire dans les États membres; •Les sanctions s'appliquent désormais non seulement aux dettes et déficits «excessifs», mais aussi à un large éventail de «déséquilibres macroéconomiques excessifs». Les variables macro à utiliser sont énumérées dans un «tableau de bord» et pour la plupart, ont trait à la compétitivité extérieure. Deuxièmement, le Two-pack, deux nouvelles mesures législatives actuellement en cours d'adoption, demande aux gouvernements de la zone euro de présenter leurs projets de budget à la Commission avant leur présentation aux parlements nationaux. Bien que «les parlements nationaux restent pleinement souverains pour voter la loi de finances», la Commission se voit accorder le droit «d'exiger un projet révisé»10. Pour les États membres qui ont accepté des crédits d'un fonds d'urgence - le Fonds européen de stabilité financière (FESF) ou son successeur, le Mécanisme européen de stabilité (MES) – une «surveillance renforcée», sur une base trimestrielle, est introduite. Ces États ont «l'obligation d'adopter des mesures pour lutter contre les sources d'instabilité». Le non-respect peut conduire à l'annulation des aides du FESF ou du MES. Même avant le Two-pack, un régime de surveillance spécial pour ces pays était déjà en place. La Troïka (composée de représentants de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international) qui accorde les fonds d'urgence (à ce jour pour la Grèce, l'Irlande et le Portugal au sein de la zone euro et pour la Roumanie à l'extérieur) a utilisé le pouvoir de ces institutions en tant que créanciers pour exiger des changements politiques et des «réformes structurelles», qui ne seraient certainement pas de la compétence de la Commission si elle agissait simplement comme une institution de l'UE. Par exemple, la Troïka a exigé que la Grèce apporte des changements drastiques à son système de négociation collective (y compris une réduction de 32% du salaire minimum pour les adultes et de 22% pour les jeunes), qu'elle réorganise son système de retraite public et privatise des actifs publics spécifiques. Dans tous les cas, ces trois États, ainsi que la Roumanie, sont désormais soumis à un système complet de tutelle par la Commission. L'Italie, l'Espagne et d'autres États (Chypre et la Slovénie sont dans la ligne de mire) peuvent se trouver contraints d'accepter un semblable régime, le président de la BCE, Mario Draghi ayant décidé que le soutien pour leurs émissions obligataires était conditionné à l'acceptation de crédits FESF/MES. Troisièmement, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, adopté en décembre 2011 et signé par 25 États membres de l'UE, reprend les règles du Pacte de stabilité modifiées sur des points essentiels, ce qui les rend plus strictes. Dans le Pacte budgétaire, qui est la partie principale du traité, une norme supplémentaire pour les emprunts du secteur public est introduite - le déficit «structurel» (qui est corrigé de l'effet des fluctuations cycliques) ne doit pas dépasser 0,5% du PIB. Les États membres avec des taux plus élevés doivent préparer et mettre en œuvre des plans de correction sous la supervision à la fois de la Commission et d'institutions «indépendantes» à créer dans chaque État membre. Les États signataires sont tenus d'inscrire ces exigences, y compris celle des corrections budgétaires «automatiques», dans la législation nationale, de préférence à valeur constitutionnelle. La Cour de justice européenne est habilitée à infliger des amendes pour non-respect de ces règles. La caractéristique essentielle du Pacte budgétaire est de porter à un degré extrême le constitutionnalisme économique qui a commencé avec le traité de Maastricht, en promulguant de nouvelles règles et contraintes qui ont tendance à mettre les politiques économiques nationales en pilotage automatique, sans aucune marge de manœuvre. Le traité permet aux États membres de porter plainte contre un autre si les règles sont réputées non respectées, ce qui ne peut que susciter la suspicion et la méfiance entre les États membres. Le Conseil a joué un rôle de premier plan dans ces mesures, avec certains des États membres économiquement les plus forts, en particulier l'Allemagne, en proposant des contraintes très sévères pour les plus faibles. La majorité de droite au Parlement les a approuvées, tandis que le centre-gauche, en dépit de certaines critiques ponctuelles, n'a pas réussi à rassembler une opposition de principe.

2.2 L'austérité et la légitimité

Le régime de surveillance brièvement décrit ci-dessus ne peut qu'aggraver encore les problèmes de légitimité que l'Union européenne rencontre de longue date et qui s'aggravent. Ils présentent plusieurs aspects, étroitement liés: •Le déficit démocratique qui isole la prise de décision de l'UE par rapport aux forces démocratiques. Cela concerne à la fois la faiblesse structurelle du Parlement européen et le rôle prépondérant du Conseil, derrière la Commission, dans la formulation des politiques et la promulgation de la loi. Il est clair que dans le Conseil et plus particulièrement le Conseil européen, les relations de pouvoir entre les États membres façonnent les décisions clés. Notons que le Parlement européen n'a aucun pouvoir de décision sur le «Semestre européen», c'est-à-dire les procédures prenant place au cours de la première moitié de chaque année, pendant laquelle les politiques macroéconomiques et de «réforme» nationales sont présentées à la Commission et au Conseil, et corrigées. •L'absence de démocratie forte a pour corollaire l'influence excessive des lobbies industriels qui dominent les comités techniques de l'UE et sont en mesure de façonner la politique et la législation dans leur propre intérêt. •Le statut anormal de la BCE qui, contrairement à toutes les autres banques centrales, n'est pas seulement indépendante sur le plan opérationnel, mais hors du contrôle de tout organe élu. Cela empêche l'indispensable redéfinition du mandat de la BCE pour répondre à l'instabilité financière, à la crise de la dette souveraine et à l'approfondissement de la crise de l'emploi. •Le déficit social qui résulte de la priorité absolue accordée par les institutions de l'UE au Marché unique et à la liberté de circulation des biens, des services et des capitaux. Cela n'a pas seulement eu pour conséquence que l'UE n'a pas réussi à développer des programmes sociaux significatifs au niveau européen. Au cours des dernières années la priorité accordée au Marché unique et, plus récemment, le Six-pack et le Two-pack ont conduit à des attaques de plus en plus agressives contre les modèles sociaux dans les États membres, soit par une législation de déréglementation telle que la directive sur la fourniture transfrontalière des services, soit par des décisions de la Cour européenne de justice (CEJ) ou maintenant par le biais des programmes d'ajustement macroéconomiques imposés par la Troïka. La perte de légitimité de l'UE qui est le résultat de ces phénomènes apparaît dans la croissance des forces politiques hostiles à l'UE, la participation en baisse aux élections européennes et la désillusion et le scepticisme de beaucoup de ceux qui soutenaient jusqu'ici l'intégration européenne. Le traité de Lisbonne a tenté d'atténuer les problèmes de légitimité en associant les parlements nationaux au processus de décision européen. Toutefois, les nouvelles procédures sont insignifiantes car elles ne renforcent pas le rôle des parlements nationaux et ne transfèrent aucun pouvoir de décision réel des institutions européennes vers le niveau national. Elles sont purement formelles, sans transfert substantiel de pouvoir aux parlements nationaux. Les structures de surveillance mises en place ces dernières années ne peuvent qu'aggraver la crise de légitimité de l'UE. Le renforcement du Pacte de stabilité n'est applicable que de façon formelle à tous les États membres. Dans la pratique, l'accent mis sur la compétitivité et l’endettement du secteur public signifie qu'il s'applique aux États membres ayant les économies les plus faibles – aux membres d'Europe centrale et orientale, de la périphérie sud et à l'Irlande. Dans la pratique, également, les exigences imposées aux États les plus faibles sont fortement influencées par les États forts agissant par l'intermédiaire du Conseil – et il convient de garder à l'esprit que même un État fort (comme la France par exemple) peut perdre en compétitivité par rapport à l'Allemagne, aux Pays-Bas, etc., et devenir ainsi un État plus faible. En conséquence, l'ensemble du régime impose la loi du plus fort sur le moins fort et le faible. Il s'agit d'un système hégémonique, quasi colonial. Les dysfonctionnements économiques massifs qui ont suivi sont discutés ailleurs dans le présent Mémorandum : les programmes d'austérité ont aggravé les problèmes de la dette publique en réduisant les recettes et la production; en réponse, la Troïka et la Commission aggravent ces effets induits à travers un cercle vicieux. Du point de vue de la gouvernance, il y a usurpation du pouvoir politique : des changements énormes sont mis en application dans le droit du travail, la sécurité sociale et les régimes de retraite et dans la régulation des services. La privatisation des biens de l'Etat est exigée, même si des prix réduits peuvent seulement être obtenus dans les circonstances actuelles. Notons que la Troïka exige des changements dans les pratiques de négociation collective, par exemple en Grèce, même si ces pratiques existent et sont acceptées dans de nombreux autres États membres de l'UE, dont l'Allemagne - comme l'extension des conventions collectives aux entreprises non participantes. Le Memorandum imposé à la Grèce par la Troïka comme condition d'un refinancement très limité, permettant juste au gouvernement d'honorer le service de la dette, est un document totalitaire qui fait honte à l'UE. Non seulement il a imposé des objectifs impossibles pour les finances publiques, mais il prive les Grecs de toute possibilité choix dans la façon d'atteindre les objectifs et le fait d'une manière humiliante. Il touche aussi à l'essence du système d'emploi grec et au système (déjà très insuffisant) de prestations sociales. Les dirigeants européens sont conscients de la crise de légitimité de l'UE, mais ils cherchent généralement à nier ou à contourner les pressions démocratiques plutôt que d'y répondre par des changements réels de politique. Un exemple en est la pression exercée sur la Grèce pour éviter un référendum sur les conditions attachées à l'aide financière de la Troïka. Le rapport récent des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne (le rapport Westerwelle) propose diverses réformes dans l'espoir d'enrayer la désillusion grandissante des citoyens européens à l'égard des structures et les politiques de l'UE . Certaines des propositions de Westerwelle peuvent être intéressantes. D'autres sont grossièrement populistes, comme l'élection directe du président de la Commission, qui nommerait ensuite les autres commissaires. Toutefois, le rapport est complètement biaisé par la reprise de l'approche actuelle sur les causes de la crise de la périphérie. Le rapport déclare : «Nous croyons qu'une fois la crise de l'euro surmontée, il faut aussi améliorer le fonctionnement général de l'Union européenne». Mais si les politiques actuelles à l'égard des populations des États plus faibles se poursuivent, la dégradation du tissu économique et du statut politique de l'Union sera énorme, et peut-être irréparable. Le récent rapport du président du Conseil européen, Herman van Rompuy, a adopté une approche complètement technique de la réforme de la zone euro. Les principales propositions sont un régime intégré de contrôle des banques et une certaine «capacité budgétaire» pour l'UE. Il peut s'agir de développements utiles dans le contexte de l'annulation de la dette, du retour à l'expansion et à l'emploi, car le régime de surveillance et la marche vers l'austérité ajoutent aux dysfonctionnements des politiques actuelles. Aucune procédure significative relative à la responsabilité des nouvelles autorités budgétaires et bancaires n'est mise en avant - il y a simplement un appel à «impliquer» le Parlement européen et les parlements nationaux. La priorité absolue donnée aux quatre libertés, au Marché unique et aux règles de la concurrence signifie que le seul modèle de démocratie compatible avec le paradigme actuel de l'intégration est une démocratie formelle, dont l'ultime objectif est de neutraliser les oppositions et de légitimer les choix politiques du centre institutionnalisé plutôt que de représenter le peuple. Une étude critique du système actuel de gouvernance de l'UE suggère que la construction d'une Europe démocratique exige non seulement des réformes procédurales, mais aussi l'adoption d'un modèle différent d'intégration compatible avec les besoins et les intérêts de la communauté.

2.3 Reconstruire la gouvernance européenne

Le changement le plus urgent dans la gouvernance européenne concerne la réponse à la crise dans les pays de la périphérie. Le système actuel, hégémonique, doit être remplacé par une approche solidaire qui fait de la reprise économique et de l'élimination des déséquilibres une responsabilité conjointe de tous les États membres et de l'UE. Ce qui, en retour, passe par la mutualisation et/ou l'annulation d'une grande partie de la dette des États les plus faibles. L'ingérence dans le débat sur les modèles sociaux, les systèmes de négociation collective et les services publics des États les plus faibles doit cesser, de même que l'implication du FMI dans la détermination des politiques économiques au sein de l'UE. Il faut donner au processus de politique macro-économique, qui est actuellement consacré à la surveillance du faible par le fort, un contenu tout à fait différent, centré sur la réduction du chômage et la correction des déséquilibres de la productivité, avec une responsabilité à parts égales entre les États plus forts et les plus faibles. Le mandat de la BCE doit être élargi pour inclure la gestion de crise, la stabilité financière et la promotion de l'emploi. La BCE doit être tenue de soutenir inconditionnellement l'orientation macroéconomique adoptée par l'UE, y compris, le cas échéant, le financement direct des gouvernements des États membres. Elle doit en même temps perdre son statut actuel, quasi-judiciaire, et être subordonnée aux instances démocratiques de l'UE. Afin de rendre la BCE plus indépendante du secteur financier, la circulation des hauts fonctionnaires entre la BCE et le secteur financier privé doit cesser. Les anciens cadres supérieurs des entreprises financières privées ne devraient plus pouvoir occuper des postes de cadres supérieurs à la BCE et il devrait être interdit aux cadres supérieurs de la BCE de chercher un emploi dans le secteur bancaire privé à la fin de leur mandat à la BCE. Il est certainement possible de développer des propositions spécifiques de procédure pour résoudre le déficit démocratique dans les institutions européennes. Une possibilité serait un organe élu chargé de superviser la BCE, une autre pourrait être de donner un rôle décisionnaire au Parlement européen dans le développement des politiques économiques de l'UE. Mais de telles réformes signifieraient peu de choses, et pourraient peut-être rendre les décisions politiques encore moins transparentes si elles ne sont pas accompagnées d'un changement complet de direction politique qui, seul, pourrait commencer à restaurer la légitimité de l'UE. Alors que l'UE perd sa légitimité, la mise en cause du régime qu'elle impose aux citoyens européens et le refus de se conformer à des règles qui sont injustes et provoquent des dysfonctionnements vont acquérir par contraste une légitimité de plus en plus grande.