Exposé:La classe ouvrière comme sujet

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La classe ouvrière comme sujet
Cet exposé est conçu autour de trois thèmes, la notion de rapport social, la composition de la classe ouvrière et la construction de la classe ouvrière comme sujet.
Exposé 1 : la notion de rapport social
Notre combat quotidien s’alimente de nos résistances à toutes les formes d’oppression. Lorsqu’on est ouvrier, femme, immigré, handicapé, jeune, homosexuel (le)s, ou de tout autre statut, on subit des formes d’oppression qui peuvent prendre la forme de discriminations, de traitements différenciés et inégalitaires, de contraintes plus physiques, d’assignations à des tâches spéciales, de formes de mépris. Ces situations s’appuient souvent sur l’idée d’une « nature » particulière qui justifierait, y compris aux yeux des opprimés, l’oppression.
Comment se croisent et s’organisent les différentes oppressions ? Quels sens prennent-elles dans la société capitaliste ? Comment bâtir des résistances collectives ? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons spécialement sur la notion de rapport social.
1/ Quelques définitions : identité, rapport social, domination
La domination : C’est l’acte par lequel un groupe impose à un autre des situations non voulues. « Le rapport de domination est un rapport social dissymétrique entre (au moins) deux protagonistes dont l’un est en capacité d’imposer à l’autre (au travers d’une dynamique entre contrainte et consentement) un jeu et les règles du jeu, incluant les catégories de pensées et d’action ».
Identités : Nous avons tous plusieurs identités : chacun « est » homme ou femme, blanc ou noir, jeune ou ancien, etc. C’est la reconnaissance, l’impression d’appartenance à un groupe social, plus ou moins défini, qui donne l’identité . La diversité identitaire humaine se déploie sur des échelles, le plus souvent binaires, entre ce qu’est être homme ou femme, blanc ou noir, jeune ou ancien. Toutes catégories dont la définition est variable d’une culture à l’autre, selon les périodes historiques.
On peut donc combiner les oppressions : gays dans les cités, jeune immigrée,…
Les groupes, tels que les identités collectives les définissent, ont des caractéristiques plus ou moins réelles, octroyées par les autres ou par lui-même.
Rapports sociaux
On est tous au centre de différents rapports sociaux. On peut définir la notion de rapport à partir de plusieurs caractéristiques :
• Dans un rapport social, il n’y a pas une relation entre deux groupes préexistants, mais un rapport qui construit les deux groupes. Dit autrement, les deux groupes se construisent dans la confrontation. Le salariat n’existait pas avant la bourgeoisie : la classe ouvrière est apparue quand des propriétaires de moyens de production ont eu besoin de faire travailler des salariés dans leurs usines. Dans le rapport hommes / femmes, c’est autant le groupe des femmes opprimées, que celui des hommes (virils, dominateurs), qui se définissent. « C'est dans le rapport que les protagonistes se produisent et s'engendrent » .
• Le rapport social se construit autour d’un antagonisme . L’affrontement se joue autour de deux dimensions : d’une part affrontement entre les protagonistes ; d’autre part affrontement autour d’un enjeu. Dans le rapport capital / travail, cet enjeu va être l’exploitation ; dans le rapport hommes / femmes, la division sexuelle du travail qui s traduit par l’assignation des femmes à des tâches précises dans la sphère de la reproduction (services marchands ou dans la famille), et l’attribution des fonctions publiques et des rôles de pouvoir aux hommes.
Toute la société est concernée par ces rapports sociaux et ces antagonismes : c’est l’organisation sociale qui est transformée par la division sexuelle du travail . Ce sont d’ailleurs ces dimensions qui définissent les êtres humains : l’espèce humaine, l’existence est formée de l’ensemble des rapports sociaux. «  L'essence de l'homme n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux. » (Marx, 6e thèse sur Feuerbach.). Les relations interpersonnelles s’inscrivent forcément dans ce cadre.
2/ Multiplicité des identités, des appartenances de groupes.
La liberté de chacun est de choisir le mode d’insertion dans ces relations humaines. Chacun a heureusement la faculté de refuser ces dominations, de vouloir faire évoluer ces rapports sociaux même si par exemple, la relation d’un couple mixte s’inscrit dans un rapport social hommes / femmes, qui concerne autant la dimension privée, professionnelle, familiale.
Chacun « joue » aussi entre ses multiples identités. Chaque individu a des identités multiples. Suivant la conjoncture, une identité peut devenir prépondérante. On peut se définir vis-à-vis des autres comme femme, homme, homosexuel, beur gay, handicapé femme, etc. Qu’est-ce qui fait qu’on a choisit une identité, que l’on met en avant tel dimension de notre personnalité sociale ?
Deux éléments centraux apparaissent. D’abord ces identités sont collectives : on s’attribue des éléments qui nous identifient à un groupe social. Elles sont par ailleurs évolutives : les caractéristiques du groupe sont données par les rapports sociaux à un moment donné. Ce sont des situations sociales qui définissent les identités particulières, des rapports entre des groupes sociaux.
Homme Bourgeois Blanc Hétérosexuel Bien Portant


Femme Ouvrier Noir / Beur Homosexuel handicapé
On peut être simultanément femme, ouvrière, blanche, etc. On peut être inscrits dans des rapports sociaux de domination tantôt du côté dominant, tantôt de l’autre. La relation entre l’ouvrier et la femme de l’ouvrier s’inscrit dans des rapports de domination. Les oppressions ont des caractéristiques communes. Elles se traduisent à la fois par :
o Une absence de droits pour les populations dominées
o Une violence symbolique conduisant à accepter la situation
o Une violence physique qui complète cette violence symbolique
o Une stigmatisation par le dénigrement systématique du groupe opposé. « Les femmes ont été invariablement dénoncées comme bavardes, coquettes, émotives, incapables de réfléchir, bref comme un "moindre mâle" mais appréciées pour leur « douceur » etc. Les colonisés par l’Europe ou les noirs aux Etats-Unis ont toujours été réputés « paresseux ». Les prolétaires du dix-neuvième siècle furent quant à eux considérés comme des « brutes » ou des alcooliques par nature »
o Une naturalisation de la différence : votre oppression est liée à vos caractéristiques naturelles, qui la justifient.
o Une hiérarchisation de ces différences (c’est mieux d’être blanc que noir).
o Et un certain nombre de ces dominations, nous y reviendrons, se combinent avec une exploitation économique.
Certains mettent en avant une oppression qui leur semble prioritaire par rapport aux autres. Cette démarche est souvent doublée par l’idée qu’une appartenance serait prioritaire, et définirait une communauté qui porterait l’identité principale (unique ?) de la personne. Il faut rappeler quelques caractéristiques du système communautaire : ces groupes sont non démocratiques, marqués par le poids de leaders. Ils s’enferment dans des normes rigides, impératives. Le repli et l’opposition aux autres groupes deviennent facilement dominants. Les institutions peuvent être porteuses de mécanismes qui participent de la construction de groupes particuliers (par exemple par la répartition discriminante des logements, voir les écrits de Loïc Wacquant). Elles cristallisent les rapports sociaux dans des mécanismes d’exclusion et de discrimination.
Mais l’affirmation du groupe peut aussi être la voie choisie pour construire un rapport de force, il est vécu alors comme un point d’appui pour se battre et se faire reconnaître.
3/ Centralité du rapport capital / travail
Dans la société capitaliste, le rapport Capital / travail est un rapport social qui englobe tous les rapports sociaux.

Capital


Bourgeois Homme Blanc Hétérosexuel Bien Portant


Ouvrier Femme Noir / Beur Homosexuel handicapé
Travail


Ce rapport Capital / Travail combine donc un rapport social d’exploitation, qui s’applique à toute la société, et un rapport de domination qui englobe l’ensemble des rapports sociaux et leur donne une forme particulière.
L’exploitation se nourrit des différentes oppressions et permet la sur-exploitation de certains groupes sociaux.
 L’oppression de la classe ouvrière a une base économique : les « prolétaires » sont obligés d’aller vendre leur force de travail, unique moyen de subsistance. Mais ceci ne suffit pas au système capitaliste, qui doit trouver des sources plus profondes pour que les ouvriers acceptent la domination. « La classe sociale n’est pas définie seulement par une position dans les rapports de production, mais par l’habitus de classe qui est « normalement » (…) associé à cette position » .
 L’oppression des femmes permet de confiner les femmes dans les tâches liées à la reproduction de la force de travail, de déqualifier le travail des femmes : un mode de gestion des salariés lié aux seules compétences engagées dans le travail, ne permettant pas d’évolution professionnelle dans le même poste ni vers des tâches plus qualifiées. Il vise à faire croire au salaire féminin comme apport annexe dans le foyer. Ces éléments se combinent pour justifier le moindre paiement des femmes, amenant donc une surexploitation.
 L’oppression raciale vise à justifier le maintien « en bas de l’échelle », dans des emplois subalterne, de manutention, de nettoyage, d’une catégorie de la population. Elle conduit à justifier la moindre reconnaissance dans toute la société. Par exemple, les jeunes immigrés représentent une armée de réserve qui pèse sur les salaires.
 Les autres formes d’oppression peuvent aussi se combiner au rapport d’exploitation, comme la catégorie de « travailleurs handicapés qui justifie des salaires moindres (France : 50 % du salaire dans les centres spécialisés), ou l’exclusion du marché du travail (Grande Bretagne). Mais les trois premières formes d’oppressions sont centrales, structurantes pour la société, parce qu’elles se combinent avec les rapports d’exploitation et sont structurellement intégrées au mécanisme d’exploitation.
Toutes ces oppressions aboutissent à rendre « naturelle » la situation sous-payée des catégories concernées : « L’ordre social s’inscrit progressivement dans les cerveaux (…).
L’expérience première du monde social est celle de la doxa, adhésion aux relations d’ordre qui, parce qu’elles fondent inséparablement le monde réel et le monde pensé, sont acceptées comme allant de soi »
• Les ouvriers ont une situation d’exploitation parce qu’ils n’ont pas le diplôme qui permette de faire autre chose Un des mécanismes repose sur l’idée de renvoyer aux opprimés la responsabilité de leur situation : « L’école ou la reconnaissance du mérite permettent de s’élever ; si les ouvriers restent ouvriers c’est qu’ils sont moins compétents. »
• Les femmes s’occupent des enfants parce qu’elles sont « naturellement » aptes à le faire. Les hommes occupent la sphère publique qui leur est dédiée.
• Les immigrés occupent le « bas de l’échelle », ils font le « sale boulot » parce qu’ils sont immigrés.
La tension principale se joue au niveau de la division du travail , bien plus que sur la sexualité ou le racisme. La division du travail trouve sa source dans ces mécanismes d’oppression. Dans une discrimination, se combinent deux mécanismes complémentaires : la séparation (d’activités, de tâches : la fille / le garçon de salle nettoie, pas l’infirmière) et la hiérarchisation (il est plus valorisé d’être chirurgien qu’infirmière) . La séparation se traduit par des professions masculines ou féminines, telles que chirurgien ou infirmière. La hiérarchisation des tâches amène à valoriser davantage la position du chirurgien que celle de l’infirmière.
La logique du rapport antagonique Capital / travail prime sur le reste. L’oppression conduit à une « surexploitation » de certains groupes (femmes ouvrière immigrée par exemple). La base économique de l’oppression est donc l’exploitation. Elle repose sur des mécanismes permanents de divisions des salariés entre eux, d’opposition.
Il faut inclure à cette approche globale des oppressions la dimension profondément intégrée dans nos sociétés de ces rapports de domination. Cette force tient au fait notamment que le capitalisme se réapproprie les oppressions des systèmes précapitalistes, leur donne une forme particulière, leur fixe des enjeux différents (tels que l’inscription dans des rapports d’exploitation), les nourrit en permanence par des mécanismes divers. L’oppression des femmes, le racisme ne se réduisent pas à des rapports d’exploitation. Racisme, mépris des ouvriers, machisme, etc. C’est pourquoi résoudre les questions d’exploitation ne conduit pas à résoudre les oppressions. La révolution ne signera pas la fin de l’oppression des femmes, ni les réflexes vis-à-vis de « l’étranger ».
Ces rapports d’oppression et d’exploitation sont des rapports sociaux, qui ne résument pas à une situation de famille ou de travail mais structurent toute la société. Pour appréhender la classe ouvrière, il faut la comprendre comme un produit de ces rapports sociaux.

Exposé 2 :La composition de la classe ouvrière
La tradition marxiste donne une place centrale à la classe ouvrière dans les processus de transformation de la société. Cette partie vise à comprendre, à partir de l’analyse des classes sociales dans notre monde tel qu’il est, les processus de constitution de cette classe ouvrière, comme groupe socioprofessionnel, comme classe sociale mais surtout comme produit d’un rapport social. 1/ La composition de la classe ouvrière Définir le périmètre de la classe ouvrière, comme on va le voir, est essentiellement une question politique et non pas économique ou sociologique. Cerner la classe ouvrière permet d’entrer dans une compréhension de ce qu’est une classe sociale. a) Une première lecture extensive de la classe ouvrière est possible Les employés, de même que l’ensemble des groupes sociaux polarisés par le rapport d’exploitation capitalistes et le plus souvent salariés, font partie des ouvriers, et donc de la classe ouvrière. Cette lecture extensive de la classe ouvrière, permet de concilier le rôle dans la production, et l’existence d’une classe sociale qui ne se résume pas à un groupe professionnel. Dans cette optique, la classe ouvrière représente une large part de la population, entre 80 et 90 % de la population. La classe ouvrière se définit par une convergence d’éléments. - le salariat (ce qui renvoie à la vente de la force de travail) ; - la vie sociale commune - La place dans la production, le travail d’exécution (ce qui oppose les ouvriers à tous ceux qui ont charge d’encadrement) ; le travail subordonné - Reste un point en débat entre nous : la référence à la production directe (ce qui les différencie des ingénieurs d’étude, par exemple). Mais surtout, ce n’est pas seulement un ensemble de travailleurs, mais une classe sociale qui se construit politiquement, socialement. Les chômeurs par exemple en font partie. Ce groupe ne dépend pour vivre que de son travail. Le prolétariat est obligé de vendre sa force de travail. Il s’oppose à un autre groupe qui est caractérisé au contraire par le patrimoine, la bourgeoisie. Qu’est-ce qui est fondamental pour définir ce groupe ? : la nature de la source de revenu. • Soit on est dépendant de son travail (ce que l’on fait) : la classe ouvrière. • Soit on tire son revenu de son patrimoine. (ce que l’on a) : la bourgeoisie. Ce qui est primordial, c’est que la confrontation entre ces deux classes structure la société. Un certain nombre de groupes intermédiaires existent. C’est le cas des techniciens : Dans les années 1960 on trouve différentes définitions concernant des couches particulières du salariat. on parle de « nouvelle classe ouvrière » concernant les « techniciens » censés être moins sensibles aux revendications dites quantitatives (les salaires) et plus sensibles aux revendications dites qualitatives (contrôle sur la production, autogestion). C’est la reconnaissance qu’attendraient les salariés, puisque le niveau de vie est considéré comme suffisant et donc moins au centre des revendications . On suppose aussi que l’avenir, devenir cadre, qui leur serait promis, les amène à s’identifier aux directions. En fait leur origine sociale, souvent populaire, la fin du mythe de la promotion sociale et la baisse de leur salaire les a rapprochés des salariés d’exécution. Des salariés, les cadres de production / cadres techniques / ingénieurs de bureaux d’étude participent à l’organisation de la production. Par rapport à ces catégories, les questions sont : • Quelle est la place dans le processus de production, d’exploitation ? Est-ce qu’ils jouent un rôle, par délégation, dans les processus d’exploitation ? • Question qui lui est liée : est-ce que ces salariés sont payés en fonction de leur travail, ou de la place dans le processus d’exploitation (leur rôle éventuel dans l’appareil répressif) ? La plupart de ces salariés, quand ils n’ont pas de rôle d’encadrement sont de fait dans des situations identiques aux salariés, avec qui ils doivent trouver un intérêt commun. b) Il existe une définition stricte de la classe ouvrière, assimilée aux seuls « ouvriers » Il existe une définition très restrictive de la classe ouvrière : elle recouvrerait les seuls salariés de l’industrie, et parmi eux les « producteurs de plus-value ». Certains d’entre nous défendent cette thèse. Pour ces camarades, le travail improductif n’est pas forcément moins utile socialement que le travail productif. Le fait qu’un salarié ne produise pas de plus–value ne signifie pas que le capitaliste ne lui extorque pas de surtravail ainsi que Marx l’a noté dans Le Capital (livre III, tome 3) à propos des salariés du secteur commercial : ce type de salarié « rapporte au capitaliste, non parce qu’il crée directement de la plus-value, mais parce qu’il contribue à diminuer les frais de réalisation de la plus-value, en accomplissant du travail en partie non-payé ». Ils font donc partie des exploités. C’est aussi la thèse défendue par E. Mandel : « L’échange même, c‘est–à-dire la concurrence, c'est-à-dire le mouvement dans la sphère de circulation, ne peuvent créer la moindre atome de plus-value » .

Qui crée de la plus-value ? Les ouvriers de l’industrie ne sont pas les seuls à créer de la plus-value. C’est le cas des employés de commerce, les salariés des services (postiers), tous ceux qui sont engagés dans la reproduction de la force de travail : • Pour que la marchandise devienne une valeur d’usage, il faut qu’elle soit là où on en a besoin, donc le transport de la marchandise ou son commerce participe à donner une véritable valeur d’usage, il crée donc aussi de la valeur d’échange. • La logistique participe à l’organisation globale du travail et donc à une création globale de valeurs. • Les infirmières, les instituteurs participent à la reproduction de la classe ouvrière, ils relèvent des services publics qui anticipent les besoins sociaux collectifs. Pour J-M Harribey, même les services non marchands créent de la valeur. « Le travail effectué dans les services non marchands est productif de valeurs d’usage monétaires mais pas de valeur pour le capital, et les travailleurs qui y sont employés créent le revenu qui les rémunère. » L’explication marxiste traditionnelle défend que la non-marchandise (les services) est financée par la marchandise. Mais cela rend impossible de « théoriser une sphère non marchande ayant pour vocation de s’étendre au fur et à mesure que les rapports de forces tourneraient à l’avantage du travail face au capital. » La déconsidération du mouvement ouvrier pour le travail des femmes relève beaucoup de ce non-dit : le travail des employé-es ne créerait pas de plus-value, et pure coïncidence, les employés sont majoritairement des femmes.

Certains courants défendent cette thèse, à partir d’un considérant : la classe ouvrière est historiquement minoritaire, l’objectif politique principal est donc de tisser des alliances avec la « petite bourgeoisie » ou la bourgeoisie nationale. On voit bien ici combien cette question est essentiellement politique et n’a pas de conséquence théorique autre que stratégique. c) Ce débat vient de la confusion entre deux notions : un groupe professionnel et une classe sociale. Un groupe professionnel rassemble des personnes ayant une situation identique dans les rapports de production. La vie sociale des employé(e)s et des ouvrier(e)s, leur niveau de vie, leurs lieux de vie les rassemblent. Ouvriers et employés ont des conditions de rémunération similaires avec un salaire net mensuels pour les temps complets de l’ordre de 1250 € pour les deux catégories (si l’on prend en compte les temps partiels, les revenus mensuels des employés sont assez nettement inférieurs à ceux des ouvriers). Une partie des employés sont soumis dans leur travail à des contraintes analogues à celles des ouvriers (tâches répétitives, contraintes de rythme). Ouvriers et employés se trouvent aussi dans des situations communes du point de vie de l’habitat, des difficultés d’insertion professionnelle au début de la vie active, ou de l’accès de leurs enfants aux études supérieures, etc. La symbiose grandissante des employés et ouvriers est symbolisée par la forte proportion des couples « mixtes » : en 1996 en France, 40% des employées avaient épousé un ouvrier. L’analyse de Danièle Kergoat à propos des ouvrières montre que les femmes vont et viennent de l’activité en usine à l’inactivité, elles passent du secteur secondaire (industrie) au secteur tertiaire (le commerce, les services) : « Ne font-elles partie de la classe ouvrière stricto sensu que de façon sporadique, ou plus largement de ‘classes populaires’ ? ». La définition de l’ouvrier à partir de la situation professionnelle stable relève d’un schéma masculin pour D. Kergoat. Et leur appartenance à la classe ouvrière à partir du métier du « chef de famille » aboutit à nier la division sexuelle du travail et à rendre invisible le travail des femmes. Danièle Kergoat esquisse à partir de cet exemple, et des luttes sociales des femmes, la construction d’une classe sociale qui ne se définit pas qu’à partir d’un groupe professionnel : « Les luttes des ouvrières n’ajoutent pas quelque chose « en plus » aux thèmes du mouvement ouvrier, elles ne se content pas de les enrichir. Elles dessinent en filigrane autre chose… Leurs luttes ne dissociant pas (ne pouvant dissocier) les conditions de travail organisées par les rapports d’exploitation, et les conditions de vie organisées par les rapports de domination, elles esquissent en creux le moule d’une conscience de classe qui ne serait plus axée sur les seuls aspects de la production mais prendrait en compte la totalité des formes sociales que prennent les rapports de classe » (p 134). Elle en conclut à la nécessité d’« une extension du champ de la lutte des classes ». On pourrait aussi citer le cas des jeunes précaires qui évoluent d’emplois d’ouvriers à des emplois d’employés… Leur appartenance à la classe ouvrière ne change pas suivant les saisons. L’insistance sur la définition du prolétariat est dangereuse si elle conduit à négliger ce qui est essentiel : la façon dont, dans une formation sociale donnée se polarisent les forces en présence, leurs dynamiques sociales et politiques. 2/ Paysans, artisans, secteur informel. D’autres groupes sociaux sont polarisés par le rapport capital / travail. Le groupe des paysans est fondamentalement divisé entre les grands propriétaires terriens qui considèrent leur terre comme un capital à faire fructifier, et les petits paysans. Bernard Lambert , 1970 : « Dans sa fonction de producteur, l’agriculteur perd de plus en plus le contrôle de sa production et même de ses moyens de production : en d’autres termes, il se prolétarise, sans devenir salarié au sens strict » . La terre passe sous la domination du capitalisme industriel, l’organisation du travail devient capitaliste (et productiviste…). Le réseau des très petites entreprises et des artisans s’est aussi renforcé, dans la plupart des pays, du fait de l’éclatement du salariat comme nouvelle stratégie des grandes entreprises. De même, un secteur informel s’est créé, qui ne relève d’aucune loi sociale dans de très nombreux pays. Fondamentalement, ces formes d’emploi diverses, même comme structures précapitalistes, se trouvent confrontées à l’extension de la loi de la valeur. Ce ne sont pas les paysans ou les artisans du XVIIIe. Les banques, les prêts, les normes d’investissement et de rentabilité les intègrent au fonctionnement capitaliste. • Les marins pêcheurs, les petits paysans sont pris dans des structures de coûts, d’investissements par les banques (crédit agricole) qui font fonctionner leurs exploitations comme des segments de la production capitaliste (productivisme…). Même si la propriété (plus ou moins factice) de leur patrimoine leur fait croire à leur autonomie. Leur intérêt objectif est de se lier avec la classe ouvrière contre le capitalisme. • Le secteur informel, tout en situant à la marge du salariat, est intégré comme un des éléments du circuit de reproduction de la force de travail. • Des structures comme les coopératives, le revenu garanti par un fonds bancaire permettraient de lier formes de propriété et socialisation. De lier intérêts particuliers et alliance avec la classe ouvrière. C’est donc à nous de créer les conditions de les associer à la classe ouvrière. Cela peut passer par le soutien à des formes coopératives ou autres formes de socialisation. Un débat existe sur les jeunes confrontés à la précarité, et sur le groupe social qu’ils représenteraient. La thèse de ce courent est que la précarité dépasse largement le seul travail, et qu’elle permet d’identifier un groupe avec des caractéristiques homogènes : « Les salariés précaires constituent aujourd’hui la figure du salarié de la discontinuité, comme ont pu l’être en d’autres temps les journaliers ou les manœuvres. (…) Les précaires cumulent dans leur expérience du travail un ensemble de discontinuités : discontinuité de l’emploi, de la protection sociale, de l’organisation collective. A travers l’expérience des discontinuités de périodes d’emploi et de chômage d’abord, les travailleurs précaires sont tantôt travailleurs salariés, toujours de manière incomplète car ne disposant pas de l’ensemble des attributs des salariés à statut, tantôt chômeurs, mais de manière intermittente et n’aspirant pas le plus souvent à cette condition.» Ces précaires ont en effet une « identité » de situations vécues et de ressentis : ils s’identifient à une condition commune. Mais le fait qu’ils n’ont pas de projet spécifique, à part celui de ne plus être précaire, ne permet pas, à notre sens, d’en faire un groupe qui pourrait porter un projet spécifique. Il faut donc trouver, là encore, les conditions de convergence avec le reste de la classe ouvrière. 3/ Quelques repères pour conclure ce thème : • Une classe sociale, ce n’est pas seulement une position dans l’organisation du travail. La théorie de l’exploitation est le point de départ nécessaire à une analyse marxiste des classes sociales mais (au risque d’être schématique), elle ne nous fournit que des rôles ou des positions qui existent dans la structure d’une société particulière. Ces positions se traduisent par la participation à un collectif, un groupe social défini par la source de ses revenus collectifs (le travail), le lieu de vie, le devenir, etc. • Fondamentalement le calcul du poids de la classe ouvrière est une question politique : - Soit la classe ouvrière est minoritaire : c’est une politique d’alliance avec d’autres couches qui est au centre de la stratégie. - Soit la classe ouvrière est socialement majoritaire, intégrant les « ouvriers », les employés, les techniciens ainsi que tous ceux parmi les catégories intermédiaires, artisans et petits paysans qui sont objectivement pris dans le même système capitaliste. Elle représente 80 à 90 % de la population. Notre tâche principale est alors son unification pour la transformer en un sujet porteur d’un projet collectif. D’où la suite de l’exposé.


3e exposé: La construction de la classe ouvrière comme sujet

Dans le second exposé, nous nous sommes attachés à décrire les processus sociaux qui tendent à construire la classe ouvrière comme classe sociale. Mais nous devons intégrer une dimension subjective à cette construction de la classe ouvrière. C’est l’objet de ce troisième exposé. Comment la classe ouvrière émerge-t-elle comme futur groupe dominant dans la société ? Les outils pour cette démarche d’affirmation et de construction d’une classe sociale sont multiples, associations relevant du mouvement social et luttant contre diverses oppressions (dont celle de la classe ouvrière), syndicats réunissant les salariés le plus largement possible, partis politiques proposant diverses stratégies. L’histoire du mouvement ouvrier est en effet celle d’un effort constant pour se construire comme sujet historique. La prise de conscience collective est évidemment le fil conducteur de cette histoire collective. 1/ Classe objective, classe subjective, « conscience de classe » : construire un intérêt commun ? Posséder les éléments objectifs ne suffit pas pour apparaitre comme une classe sociale. C’est ce qu’explique Marx, dès 1948, à propos de la petite paysannerie :

« Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions économiques qui les séparent les unes des autres  et opposent leur genre de vie, leurs intérêts et leur culture  à ceux des autres classes de la société, elle constitue une classe sociale. Mais elle ne constitue pas une classe sociale dans la mesure où il n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune organisation politique. » 

Pour transformer la classe ouvrière en sujet d’histoire, il s’agit donc de transformer la « similitude des intérêts » des salariés en la conscience de cet intérêt commun, qui dépasse pour le salarié le seul stade de sa relation personnelle avec son employeur, qui dépasse la relation collective des salariés à l’employeur, bref qui s’exprime par le passage de l’opposition à son patron à l’opposition au patronat dans son ensemble. Le syndicalisme, qui met en avant la prise de conscience et la construction d’un « intérêt commun » dans le processus d’exploitation, a un rôle primordial concernant cette unification . La bourgeoisie a une conscience de classe. Par son mode de vie, sa reproduction sociale endogène, l’affirmation d’un espace social réservé, mais aussi par une conscience aigue de ses intérêts collectifs, qui se traduisent par une représentation politique identifiée, elle affirme sans cesse avoir une conscience de classe combative. De même le salariat doit se construire sa propre représentation politique et sociale autonome. Ceci exprime l’idée d’un projet commun, la projection dans une situation autre où la classe ouvrière ne serait pas dominée. Et donc la nécessité de s’unifier en dépassant ses contradictions internes. 2/ Représentations professionnelles, territoriales : solidarités professionnelles, construction de droits salariaux. La classe ouvrière est hétérogène, traversée de divisions et de contradictions. Le mouvement ouvrier a su, depuis son origine, avancer un certain nombre de mécanismes pour se construire comme sujet collectif face au patronat et à la bourgeoisie. Deux grands mécanismes ont été utilisés par le mouvement ouvrier, la solidarité professionnelle et les droits salariaux. Le syndicalisme est fondamentalement une expression de la relation salariale. Le travail est avant tout un rapport social, basé sur une activité productive mais dans le cadre d’un rapport de subordination. La relation de travail englobe alors une relation hiérarchique liée à l’organisation du travail, complétée par une opération de valorisation du travail. Le syndicalisme véhicule donc les contradictions de cette situation de salarié, marquée par la subordination du salarié à l’employeur, où le contrat de travail exige à la fois une mise à disposition complète du salarié, tout en reconnaissant son individualité source de création de richesse. L’organisation du travail capitaliste s’appuie sur des groupes professionnels, les ouvriers professionnels, les agents de logistique, les employés, etc, à qui elle attribue des fonctions différentes, et des valeurs différentes aux tâches effectuées. Le syndicalisme exprime ces différences au sein de la classe ouvrière, tout en voulant l’unifier. • Solidarité professionnelle A partir de la reconnaissance du rôle de chacun dans l’organisation du travail, des grilles hiérarchique se sont construites, intégrées dans des conventions collectives de branche. Elles permettent une reconnaissance de la qualification par les employeurs sans que cela dépende d’une appréciation individuelle. Mais en même temps elles fixent une hiérarchie entre les métiers, les activités… Elles résultent d’un compromis : pour les salariés comme pour les employeurs, réduire la concurrence entre salariés d’un même métier, ou entre entreprises d’une même activité. Elles représentent pour les salariés « la prise de conscience que la bourgeoisie repose nécessairement sur la concurrence des ouvriers entre eux, c’est-à-dire sur la division du prolétariat et sur l’opposition entre groupes individualisés d’ouvriers » . E. Durkheim avait bien résumé ce que représente cette solidarité organique : le lien social, basé sur la solidarité organique, s’appuie sur la reconnaissance du rôle de chacun au sein dans la division du travail social de cet organisme (comme les organes d’un corps humain). Pour lui c’est le lien social le plus fort : « Il y a lieu de supposer que la corporation est appelée à devenir la base ou une des bases essentielles de notre organisation politique » La solidarité professionnelle est aux sources du mouvement ouvrier. Cette construction repose sur un mécanisme d’identification de la classe ouvrière à certains groupes mieux organisés et donc avec de meilleurs acquis sociaux, à condition que ces groupes fassent bénéficier l’ensemble des avantages reçus. « Cela ne signifie pas que les acquis des groupes centraux du syndicalisme ont vocation à être étendus vers les groupes périphériques, mais que ces derniers peuvent bénéficier indirectement du dynamisme des premiers. Le rôle de référence de l’emploi standard ne va de pair ni avec sa généralisation, ni avec une uniformisation des bénéfices qui y sont attachés, ni avec une égalité des conditions d’accès, de maintien ou de promotion en son sein. » C’est justement ce mécanisme qui est remis en cause dans la période actuelle : les groupes les plus avancés sont eux-mêmes sur la défensive et n’arrivent plus à faire bénéficier les autres salariés de leur statut : peu d’intégration de salariés précaires, peu de droits des précaires en lien avec les statutaires, de nombreux salariés de PME ou de sous-traitants sans garantie sociale. Ce mécanisme de construction autour de solidarités professionnelles est néanmoins l’axe structurant d’une grande partie du mouvement ouvrier dans de nombreux pays. • Solidarité géographique / territoriale et droits salariaux Un second mécanisme d’unification appréhende la classe ouvrière comme une classe sociale qui se construit à travers un rapport salarial global. Les revendications mises en avant visent alors à unifier au delà des statuts particuliers et de la situation particulière dans l’organisation du travail. Les droits collectifs relèvent d’un statut salarial, qui participe de la construction de ce salariat comme un sujet. Un salaire minimum peut jouer ce rôle d’unificaiton quelque soit le statut. C’est surtout la protection sociale qui joue le vecteur d’une mobilisation sociale et d’unification du salariat.

« La protection sociale est un élément du salaire total distribué par les instances politiques du salariat que sont les instances du partenariat social, et non pas une redistribution. Elle pose tous les salariés, qu’ils soient occupés, chômeurs, en arrêt de maladie, jeunes en formation ou pensionnés, des cadres aux ouvriers, comme membres du travailleur collectif » . 

Aujourd’hui, les cotisations sociales (salarié + employeur) représentent, en France, plus de 50 % du salaire. On peut dire que puisque cet argent n’est pas accumulé, il représente la moitié du budget des ménages. Cette moitié n’est pas dépendante de la valeur attribuée au travail de chacun, ni du statut, ni de la taille de l’entreprise (ce qui constitue comme nous l’avons vu les éléments dominants de division du salariat), elle est donc un puissant élément unificateur. Elle permet de dépasser les contradictions liées à l’organisation du travail dans l’entreprise. D’ailleurs, les grandes luttes du salariat (1995, 2003) se sont structurées ces dernières années autour de la défense de la protection sociale. L’extension de la sécurité sociale, puis des autres dimensions de la protection sociale, renforce peu à peu, depuis 50 ans, l’idée d‘un sort commun du salariat, au-delà de ses différences internes. Cette extension s’est d’ailleurs faite par agglomérats successifs, à partir des systèmes de protection gagnés dans des entreprises, des branches, puis élargis à tout le salariat, puis à toutes les couches de la population. Le salariat devient un statut de référence. « Les syndicats justifient largement leurs places dans leurs pays respectifs par leur capacité (…) à transformer le travail salarié en statut social de référence. Ils créent ainsi le salariat. » Mieux encore, ce système de protection sociale définit les termes d’un autre mode de fonctionnement de la société, basé sur la réponse au besoin social et non sur le profit. C’est à partir de ce message que le mouvement ouvrier est capable de s’adresser à toutes les couches de la population, en leur proposant historiquement d’intégrer, couches après couches, la sécurité sociale. Il devient porteur d’un modèle de société qui répond à l’intérêt de tous, il devient porteur de l’intérêt général comme disait Gramsci. Les revendications démocratiques peuvent jouer aussi ce rôle d’unification quand elles mobilisent largement, autour des salariés, d’autres franges de la population. « La puissance prolétarienne était puissamment combinée (et elle s’en trouvait renforcée) avec ce qu’on pourrait appeler la conscience jacobine – cet ensemble d’aspirations, d’expériences, de méthodes et d’attitudes morales dont la révolution française (et avant elle l’américaine) avait pénétré les pauvres capables de réflexion et de hardiesse. (…) Ces gens du commun – prolétaires ou non – que la révolution française avait poussés sur le devant de l’histoire comme acteurs et non plus comme victimes, trouvèrent leur expression dans le mouvement démocratique (…). Conscience prolétarienne et conscience jacobine se complétaient l’une l’autre » . C’est le lien social lié au territoire qui s’exprime ici, les salariés sont aussi citoyens et par la revendication de la citoyenneté construisent l’image d’un salariat unifié et capable de porter les questions de la société. 3/ L’éclatement des collectifs de travail Le travail est au centre de notre analyse de la société. Il donne une identité sociale, il permet de se situer dans la confrontation capital / travail. Notre approche de la classe ouvrière comme une classe sociale nos amène à ne pas mythifier le travail (entendu ici comme lieu de travail) comme seul lieu de construction de la classe ouvrière. Une intervention politique dans les villes, sur des sujets sociaux importants, dans les institutions, participent autant de la construction de la classe ouvrière comme sujet politique. Mais il importe de noter quelques évolutions récentes qui sont déterminantes pour le salariat d’aujourd’hui. De façon à briser toutes résistances dans sa recherche permanente de profits, le libéralisme remet sans cesse en cause les formes collectives du travail. C’est d’abord au niveau des statuts des salariés que porte l’offensive de division : statuts précaires, fragilité de certains salariés… Cette recherche de rentabilité se traduit par l’intensification du travail. Celle-ci prend la forme d’un double mécanisme contradictoire : • Post-taylorisme : la dernière période capitaliste avait été marquée par une baisse de rentabilité des modes de production, liée à une perte d’efficacité du taylorisme. L’initiative des salariés, après avoir été bannie ou ignorée, devient un vecteur de progrès. Mais elle ne peut reposer que sur l’investissement personnel des salariés qui doivent lui sacrifier jusqu’à leur subjectivité et s’investir dans la finalité du produit. • Néo-taylorisme : l’augmentation des modes de contrôle de la production, par des moyens informatiques généralisés, s’étend du travail collectif au travail individuel. Cette double évolution contradictoire se traduit pas une souffrance accrue pour les salariés, soumis à ces injonctions contradictoires. Elle est la marque de la volonté de reprendre le contrôle sur une autonomie grandissante des salariés. cette autonomie est une marque particulière de l’évolution du capitalisme. Elle s’appuie sur une hausse généralisée des connaissances et une augmentation de la nécessité de la coordination dans le travail. Ce mécanisme est appelé par Marx le passage de l’ouvrier de l’industrie vers le General intellect. Il existe donc un enjeu particulier aujourd’hui pour reconstruire la dimension collective du travail. Le syndicalisme est l’expression de la dimension collective de cette relation de travail. Il crée un espace particulier au sein de cette relation de travail, un espace qui relève de la solidarité, du travail collectif, de la coopération et qui s’oppose à la mise en concurrence des salariés entre eux. C’est autour de la reconnaissance du droit de coalition que s’est construit le syndicalisme, intégrant tout autant le droit de grève que l’organisation dont se dote la classe ouvrière au XIXe siècle. Le travail est un rapport social. Il est à l’intersection entre un rapport de domination (sur la classe ouvrière, l’obligeant à travailler) et un rapport d’exploitation (de la classe ouvrière). 4/ Représentation organique / représentation politique

La présentation précédente s’appuie implicitement sur l’idée que le syndicalisme a pour tache de représenter l’ensemble de la classe ouvrière au de là de ses contradictions (mais cette représentation unifiée de la classe ouvrière peut prendre d’autres formes suivant les pays). L’expression d’un intérêt commun aboutirait ainsi à une représentation organique, issue de la situation commune d’une classe sociale. « Le second moment est celui où tous les membres du groupe social prennent conscience de leur solidarité d’intérêts, mais encore dans les limites du champ purement économique. Dès ce moment-là se pose la question de l’Etat, mais seulement en tant qu’il s’agit d’obtenir l’égalité politico-juridique avec les groupes dominants, puisque l’on revendique le droit de participer à la législation et à l’administration, et au besoin de les modifier, de les réformer, mais dans les cadres fondamentaux existants » (Gramsci, Notes sur Machiavel, 13e Cahier de prison 1931) Mais la classe ouvrière ne peut s’affirmer comme classe dominée. Pour exister, elle doit porter un projet d’émancipation, un projet d’une autre société. Celui-ci ne peut exister qu’à travers une stratégie. C’est ce qu’expriment l’existence des partis politiques, expressions politiques de cette classe ouvrière et de son projet. C’est cette conscience de classe qui émerge au XIXe siècle, et qu’il faut sans cesse reconstruire :

« Ce qu’il y avait de nouveau dans le mouvement ouvrier du début du XIXe siècle, c’est une conscience de classe et une ambition de classe. (…) La révolution française a donné à cette classe nouvelle la confiance en soi. La révolution industrielle l’a marquée du besoin d’une mobilisation permanente. » 

C’est donc une double représentation qui correspond à ces deux tâches. Une représentation « organique », unifiée, souvent représentée par le syndicalisme ; et une représentation politique, stratégique, concrétisée par des partis politiques différents. 5/ Un objectif stratégique : unifier la classe ouvrière ; d’émancipation : bâtir de nouveaux rapports sociaux L’analyse sociologique des classes sociales est intimement liée au projet politique que nous portons. Une analyse de la disparition de la classe ouvrière identifiée pourrait amener à plusieurs types de conclusions (si on écarte l’aplatissement devant l’ordre existant, devant un capitalisme devenu, pour l’essentiel de la social-démocratie, « horizon indépassable ») : • la première serait la recherche d’un nouveau sujet révolutionnaire aux marges de la société, dans les capacités subversives des plus précaires alliés aux intellectuels . Cette vision, qui sous-estime les luttes toujours menées par le salariat traditionnel, ne peut que conduire à l’impasse : le « précariat » est lui-même profondément hétérogène et, si certaines de ses composantes sont capables de mener des actions radicales, elles pèsent peu sur les centres stratégiques du système et surtout la coordination des salariés est éphémère, et le projet collectif ne peut qu’être réduit. • Une seconde vision met en avant les luttes contre les oppressions comme des éléments fondamentaux et relativisent la lutte économique. Après 1995, Pierre Bourdieu a théorisé les « nouveaux mouvements sociaux » comme les sujets révolutionnaires remplaçant la classe ouvrière (elle-même trop dominée pour se révolter). Cette vision a des ressorts réels : le bilan des courants dominants du mouvement ouvrier traditionnel, l’incapacité voire le refus de courants même révolutionnaires de prendre en charge les luttes hors de l’entreprise, les luttes des femmes, des homosexuels, etc. Mais nous ne partageons pas le pessimisme de ce courant sur la classe ouvrière, et de plus, les mouvements sociaux doivent se lier avec le mouvement ouvrier et y trouver (et lui donner) un sens commun. • Une troisième vision s’appuie sur la progression de ce « général intellect » dont nous avons parlé. Chacun participe, dans ce « capitalisme cognitif », de la création de la valeur par sa participation à la vie sociale. L’affrontement avec le capitalisme devient l’affrontement avec un système généralisé à la planète. Ce sont les mouvements sociaux qui portent alors la confrontation principale avec le système capitaliste. Dès lors que nus considérons qu’il existe bien des rapports d’exploitation identifiés, mettant en scène dans une confrontation irréductible une classe capitaliste et une classe ouvrière (prise au sens large), l’unification de la classe ouvrière, dans l’édification d’un intérêt commun dépassant les contradictions internes, à travers un projet anticapitaliste commun, devient un objectif stratégique central. Et c’est au cœur des rapports sociaux que se trouve le ressort historique pour construire de nouveaux rapports émancipés . La classe ouvrière peut alors se poser comme le sujet historique de la transformation sociale : « La classe ouvrière se présente d’emblée non pas comme classe, mais comme représentant la société toute entière » .